Quand on parle de la RE2020, difficile de ne pas évoquer Philippe Pelletier. Avocat au barreau de Paris et auteur de nombreux rapports publics relatifs à la question du logement et de l’urbanisme, il a largement contribué à dessiner le futur des bâtiments durables. Il a notamment présidé, entre autres, l’Agence nationale de l’habitat (Anah), puis le comité stratégique du Plan bâtiment Grenelle. Depuis 2012, il est à la tête du Plan Bâtiment Durable et, depuis 2015, il est membre du Conseil Supérieur de la Construction et de l’Efficacité Énergétique (CSCEE) en tant que personne qualifiée.
Dans le cadre du Plan Bâtiment Durable, il travaille à la mise en place d’un « label RE2020 » qui doit donner à la RE2020 sa pleine dimension environnementale tout en permettant aux industriels et aux artisans de valoriser leur engagement en ce sens.
Enjeux, agenda et paramètres concrets : on fait le tour avec Philippe Pelletier des contours de ce futur label.
Philippe Pelletier, pour que nous puissions comprendre votre travail sur ce label RE2020, pourriez-vous nous présenter vos missions en quelques mots ?
Après diverses activités dans le champ du logement, dont notamment la présidence pendant dix années de l’Agence nationale de l’habitat (l’Anah), j’ai été chargé, à l’initiative de Jean-Louis Borloo, alors ministre d’État, chargé de l’Écologie et du Développement durable, d’animer ce que nous appelons le Plan Bâtiment Durable, une initiative originale consistant à embarquer la société afin que, progressivement, nous nous agissions de façon que nos bâtiments soient plus sobres en consommation d’énergie avec une empreinte carbone, réduite.
Notre travail a consisté d’abord en une phase assez poussée de créativité et d’innovation, en rassemblant tous les acteurs de la société concernés par le sujet. Nous avons proposé et inventé un certain nombre de dispositifs qui se trouvent dans les lois et décrets qui encadrent le sujet aujourd’hui : l’éco-prêt à taux zéro, l’éco-conditionnalité des aides, le système RGE, l’annexe environnementale au bail, l’embarquement de la performance énergétique à l’occasion des gros travaux, la future réglementation environnementale et beaucoup d’autres choses encore. L’organisation du futur décret dit tertiaire, fixant l’obligation progressive de rénovation énergétique par le tertiaire privé et public, en découle également.
J’ai aussi fait en sorte que les architectes et les artisans se parlent, que les collectivités locales essayent de mieux se comprendre avec l’appareil d’État et que les acteurs, petits et grands, du côté de l’offre de services comme du côté de la demande, s’écoutent, se comprennent, changent leurs habitudes et construisent des partenariats. Notre réseau regroupe aujourd’hui entre 15.000 et 18.000 personnes sur l’ensemble du territoire.
Nous avons aussi accéléré ici et là des prises de conscience, inventé des rapprochements et nous avons utilisé des chartes de mobilisation, des contrats d’engagement : autant d’outils qui donnent du dynamisme à l’action.
Enfin, notre action territoriale a consisté à ce que, après avoir mené à l’échelon national les rapprochements avec les grandes organisations concernées par le sujet, on fasse le même exercice au plan régional (dans plus de la moitié des régions). Des dispositifs qui s’apparentent à un « Plan Bâtiment Durable régional » ont ainsi été mis en place, le dernier étant celui de l’Occitanie que je suis allé inaugurer il y a quelques semaines.
Aujourd’hui, quatre sujets principaux nous occupent :
Le premier est de faire en sorte que les bailleurs de logements privés, qui se voient en risque de ne plus pouvoir louer leurs logements s’ils restent énergivores, soient accompagnés dans la rénovation de ces logements. C’est un sujet tout à fait important, le parc locatif privé représentant un peu plus de 7 millions de logements qui méritent un traitement approprié pour rester à fonction locative.
Le deuxième sujet intéresse le parc tertiaire : il s’agit d’accompagner le démarrage de l’obligation de rénovation de ce parc en organisant une instance qui va accompagner les progrès, repérer ce qui grippe et faire en sorte qu’en permanence les outils réglementaires soient bien ajustés à la situation réelle de ces acteurs.
Le troisième point, et c’est l’objet d’une lettre de mission reçue très récemment, est de préfigurer le label qui viendra compléter la réglementation environnementale dite RE2020.
Enfin, je suis chargé (en partenariat avec le CSTB, centre scientifique et technique du bâtiment, et la DGALN), de conduire la concertation qui va permettre d’écrire la feuille de route de décarbonation du cycle de vie du bâtiment. La commande vient du parlement dans la loi climat et résilience, article 301 : l’ensemble des sphères économiques du pays de sont invités à « rendre une copie » début 2023 en indiquant comment ils comptent décarboner leurs activités. L’animation de la branche bâtiment et immobilier, qui suppose de mobiliser le plus grand nombre, va permettre de fixer des objectifs bas-carbone ambitieux, à l’horizon 2030, qui seront d’autant plus atteignables que la sphère professionnelle aura été associée à leur détermination.
Pensez-vous que la RE2020 puisse aujourd’hui surtout être perçue comme un « coût » (économique, humain, temporale) par les artisans et les industriels ? Si oui, pensez-vous que le Plan Bâtiment Durable soit une stratégie efficace pour basculer du côté de la revalorisation (des compétences et des investissements financiers et humains) ?
Concernant l’hypothèse de votre première question, je suis en désaccord. Il y a dix ans, lorsque j’étais chargé de suivre l’entrée en vigueur de la réglementation thermique 2012 j’ai vu, et compris, le désarroi assez vif de l’ensemble des acteurs professionnels que vous évoquez et qui, à l’époque, disaient que ce qu’on leur demandait n’était pas possible, que ça allait coûter trop cher et conduire à fabriquer des thermos en guise de logement, dans lesquels le bien-être ne serait pas assuré. Un état d’esprit dominant de rejet de la RT2012 était alors à l’œuvre, mais heureusement, les faits ont finalement apaisé les craintes de la communauté professionnelle.
Dix ans après, en allant dans les mêmes enceintes (où je trouve des gens qui ont généralement dix ans de moins aux mêmes postes) et je relève avec satisfaction un état d’esprit qui n’a rien à voir. En d’autres termes, je n’entends pas un mot qui remet en cause la démarche bas carbone que nous conduisons. Tout le monde exprime comme une évidence le fait que le chemin que nous traçons est nécessaire. Tout le monde a compris qu’il fallait faire des efforts pour organiser le chantier de façon décarbonée, pour utiliser des matériaux biosourcés, pour assurer une exploitation moins carbonée.
Je sens véritablement que nos esprits ont évolué, créant un terrain extraordinairement propice à l’application de la réglementation environnementale.
Maintenant, est-ce que l’ensemble des acteurs immobilier sont aptes à construire RE2020 ? La réponse est plutôt positive dans la sphère des bâtiments collectifs, où ce sont principalement des entreprises d’une certaine taille qui sont à l’œuvre et ont pu se former pour mettre en œuvre les règles de la réglementation environnementale. Le sujet est probablement plus compliqué dans la construction de maisons individuelles, où ce sont des entreprises plus petites, voire artisanales, qui sont à l’action, parfois sous forme de lots séparés et sans entreprise générale, et donc avec un risque que l’absence de coordination du chantier et le manque de formation des artisans ne compliquent la mise en œuvre de la réglementation environnementale : il faudra donc trouver le moyen de les accompagner et de les inciter à se grouper.
Quel futur pourrions-nous imaginer pour que le plan bâtiment durable devienne un levier de valorisation des compétences autour de la RE2020 ?
La création de valeur que nous allons apporter en suite de la réglementation environnementale, c’est la préfiguration en cours du label « post RE ». En d’autres termes, nous allons accroître le sens, à travers ce référentiel commun, de la réglementation en lui conférant une dimension pleinement environnementale.
La réglementation concerne en effet quatre principaux sujets : l’énergie, le carbone (qui est l’élément majeur), le confort d’été (qui est plutôt bien traité dans cette réglementation alors qu’il ne l’était pas dans celle d’avant) et, timidement, la qualité de l’air intérieur (en faisant un contrôle rigoureux des installations de ventilation).
Ces quatre axes ne rendent pas compte de tous les sujets environnementaux et nous avons donc décidé (j’ai été assez moteur dans cette prise de décision) qu’il fallait s’occuper à la fois du bien-être des gens dans le logement et de la bonne position environnementale du bâtiment dans son espace. Nous avons donc décidé d’ouvrir les esprits à un certain nombre de thématiques à définir qui pourront aller de la qualité de l’air, au traitement de l’eau, en passant par la mise en réseaux du bâtiment, sa position sur le plan patrimonial et architectural dans son espace géographique, l’économie circulaire mise en œuvre pour réaliser la construction ou la déconstruction, et la biodiversité (qui va être renforcée).
Nous avons exploré sept items et, à partir de là, nous sommes en train de construire ce qui sera le cadre commun de référence. Je pense que ce faisant, nous allons contribuer à accroître la dimension pluridisciplinaire du sujet qui contribuera notamment à ce que les artisans, embarqués dans une cohorte de professionnels diversifiés, vont sûrement accélérer leur bonne maîtrise des règles nouvelles.
Sur les seuils d’exigence que vous avez en tête, y a-t-il des éléments que vous êtes en mesure de nous partager aujourd’hui ?
Ce que je peux partager, c’est d’abord la lettre de mission qui décrit la nouvelle phase de préfiguration dans laquelle on s’engage et qui dit l’accord du gouvernement pour que ce soient les associations porteuses de labels qui se chargent de préparer celui-ci, aux côtés du Plan Bâtiment Durable : ainsi l’alliance HQE-GBC, Effinergie ainsi que le Collectif des démarches bâtiment durable ont décidé de se regrouper dans un groupement d’intérêt écologique, ouvert à d’autres partenaires Ce qui est tout à fait intéressant, c’est de voir ces associations, qui jusqu’à présent travaillaient chacune dans son champ, se rapprocher et essayer de porter ensemble ce projet commun.
Quel futur voyez-vous pour la RE2020 et pour ce label en devenir ?
Je pense que la prise en compte du poids carbone du bâtiment va être un levier puissant pour que la filière de l’offre de services se développe, dans toutes ses composantes. Et je prolonge la réflexion en aval en ciblant la partie immobilière, c’est-à-dire tous ceux qui gèrent, assurent, financent, louent, vendent, rénovent, réparent, gardiennent et nettoient les bâtiments. La réglementation environnementale et son label représentent en effet un ferment de transformation de tous ces métiers parce que le sujet carbone, véritablement innovant, ne peut être traité par l’un quelconque des acteurs de la chaîne qu’en interrogeant ses compétences, son organisation et sa capacité à travailler de manière partenariale.