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Quels défis rencontrent constructeurs de maisons individuelles et bureaux d’études ?

Entrevue avec Émilie Lachaux, gérante du bureau d’études Neo Énergies

Après plusieurs mois de concertation, la réglementation environnementale des bâtiments neufs, dite RE2020 entrera en vigueur au 1er janvier 2022. La diminution de l’empreinte carbone et l’analyse du cycle de vie du bâtiment sont au cœur des préoccupations des professionnels du secteur qui vont devoir intégrer ces nouveaux éléments à leurs constructions. Émilie Lachaux, gérante du bureau d’études Neo Énergies, qui travaille avec les constructeurs de maisons individuelles sur le quart nord-est de la France, nous explique comment cette nouvelle réglementation impacte les bureaux d’étude et l’accompagnement qu’ils proposent aux promoteurs.

Quel est votre retour d’expérience concernant la RE2020 et son efficacité dans l’atteinte des objectifs de réduction carbone ?

Nous avons eu les textes et les logiciels pour la RE2020 pendant l’été. Nous avons travaillé à partir de ces derniers pour construire les descriptifs techniques de nos clients professionnels. Ces textes impactent en grande partie l’enveloppe et la composition du bâti des maisons et des bâtiments collectifs. Contrairement à la RT2012, qui avait vraiment transformé le chauffage de la maison individuelle en passant du tout électrique à des solutions hydrauliques ou aérauliques, la RE2020 reste concentrée sur des systèmes que l’on connaît, telle que la pompe à chaleur. L’impact pour nos clients a donc été de reconstruire un descriptif pour le bâti tout en appréhendant ce qui caractérise le bbio c’est-à-dire l’orientation, la compacité, les débits d’air, les surfaces vitrées, masques proches et lointains de nos bâtiments.

La nouveauté pour les professionnels est d’intégrer désormais une notion carbone. Cette notion carbone, pour le premier seuil de la réglementation environnementale en vigueur jusqu’en 2025, est plutôt le challenge des industriels. En effet, c’est à eux de verdir leurs produits en menant des travaux sur la fabrication et sur le choix des matières premières pour permettre, en 2025, la continuité des systèmes isolants, des choix de systèmes de maçonnerie et des composants de la maison. Pour les trois premières années, la RE2020 ne nécessite pas des changements de produits pour les constructeurs pour atteindre le niveau réglementaire en matière de réduction des émissions carbone. Le rôle d’un bureau d’études sur le Carbone consiste à démystifier ce nouveau sujet règlementaire et à faire de la pédagogie auprès de leurs équipes.

La deuxième nouveauté concerne le confort d’été. Un nouvel indicateur, le degré d’heures d’inconfort, va impacter fortement le calcul selon les régions. Nous allons donc faire face à une notion de rafraîchissement passif qui n’était pas encore très présente dans l’habitat français.

Les CMIstes rencontrent-ils des problèmes particuliers dans le cadre de la mise en place de la RE2020 ?

Dans les bureaux d’études, nous n’avons pas rencontré de problème technique sur ce sujet. Nous faisions déjà les études thermiques et nous sommes prêts à réaliser les études carbone ou d’analyse du cycle de vie. Il nous manque certaines fiches FDES (Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaires pour les produits de constructions) ou PEP (Profil Environnemental Produit pour les équipements) et nous aimerions en avoir en plus grand nombre pour être beaucoup plus précis dans le calcul et éviter au maximum d’utiliser des fiches de données environnementales plutôt portées par des syndicats ou par le ministère. C’est ce que nous appelons aujourd’hui des fiches génériques et cela nous permettrait d’être plus précis.

Avec la RE2020, le bâti devient un élément central déterminant dans le prix de vente d’une maison. Nous avons donc dû faire évoluer notre accompagnement. Auparavant, seules les équipes techniques (conducteurs de travaux, bureaux d’études et directions techniques des constructeurs promoteurs) étaient concernées par nos formations. Aujourd’hui, nous formons également les commerciaux, ceux qui sont vraiment en face des futurs maîtres d’ouvrage. Nous remettons de la technique dans le commerce afin de les aider à mieux appréhender les enjeux liés à la RE2020. Cela représente désormais une grosse partie de notre accompagnement pour aider les marques constructeurs à prendre ce tournant et à devancer le marché de la maison individuelle qui connait un virage tout comme l’a connu le monde de l’automobile en intégrant des équipements de série (gestion centralisée des volets roulants etc…)

Est-ce qu’il vous manque des outils pour faire cet accompagnement ?

Non. L’impact de la RE2020 a été plus important pour les industriels des équipements. En effet, l’annonce soudaine de la sortie des énergies fossiles les a obligés à réorienter leur discours. En ce qui concerne les constructeurs, c’est plutôt le bâti et l’enveloppe qui les impactent. Sur les équipements aujourd’hui, en analyse de cycle de vie concernant votre client, je suis encore en saisie forfaitaire et non détaillée, même si utiliser les données forfaitaires peut être très pénalisant sur le lot 8.1.

À cause des fiches individuelles PEP ou FDES ?

Exactement. Pour les industriels des isolants, c’est la course à la fiche individuelle. Ils ont dû fournir rapidement des fiches FDES individuelles pour permettre d’être différenciateur sur le résultat final du calcul isolant.
Dans le calcul Carbone nous sommes en saisie forfaitaire pour le lot CVC ; certains industriels comme Chaffoteaux disposent déjà de données pour 2022. En revanche la pression va s’accentuer sur les industriels sans fiches en 2025.

Pensez-vous qu’un industriel qui n’aura pas de fiches FDES ou PEP détaillées dans les prochains mois risquera d’être hors-jeu ?

Complètement. La responsabilité repose aujourd’hui sur les industriels. Pour respecter les seuils qui seront mis en place en 2025, 2028 et 2031 et rester acteurs du secteur, ils devront verdir leur production. C’est un choix assez politique selon moi. Il a fallu malgré tout écrire une réglementation intégrant une analyse du cycle de vie des produits pour qu’on se pose ces questions sur les sites de fabrication et sur les origines des matières ou pièces utilisées.

Est-ce que tout cela entraîne un surcoût pour les bureaux d’étude ? Quels sont les défis que vous rencontrez ?

Le défi réside dans l’analyse du cycle de vie : connecter l’ensemble des composants d’un bâtiment puis y associer son empreinte carbone pour trouver son émission de gaz à effet de serre. Nous avons donc dû modifier les méthodologies de travail avec les clients afin de réussir à mettre en place une collecte qui soit rapide et facile pour éviter une surcharge administrative chez le constructeur. Nous avons dû aussi penser au coût que cela implique, qui s’ajoute à un contexte d’augmentation des prix des matériaux. Cela nous a demandé un vrai travail d’investissement en interne, pour pouvoir être le plus compétitif possible et ne pas ajouter de coût inadapté à la situation connue.

Au 1er janvier 2022, la RE2020 va également impacter le futur acheteur. L’idée est donc de ne pas alourdir cette note liée à l’ingénierie du bâtiment. C’est une notion qui n’est pas encore palpable pour le maître d’ouvrage. Il est plus facile d’argumenter sur le choix d’une pompe à chaleur ou d’un isolant que sur l’ingénierie du bâtiment.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose concernant la RE2020 ?

Nous avons une période de surcharge de travail importante. En effet, l’accompagnement que nous proposons change. Au-delà de la réglementation comme fil conducteur, nous devons surveiller l’évolution du marché de la maison individuelle. Nous devenons ainsi des métiers où il faut devancer le marché afin d’aider nos clients à être les acteurs les plus pertinents demain.

Par exemple, la réglementation environnementale n’oriente pas sur la production d’électricité ou sur le panneau photovoltaïque. Toutefois, face à la croissance du marché de la voiture électrique et de l’hybride, il est pertinent aujourd’hui d’avoir des offres qui répondent à cette nouvelle demande. Nous permettons ainsi à nos clients de se différencier au sein d’une offre similaire en matière environnementale.

Nous souhaitons rester une référence sur le marché et c’est pour cela que nous avons désormais un double positionnement : nous continuons d’aider nos clients à rester conformes à la réglementation en vigueur ainsi qu’aux évolutions techniques tout en devançant les besoins du marché.